
12 Nov Marcel Gotène : « Premier peintre tapissier congolais »
par Jean-Baptiste Loutard
Au moment de se quitter en juillet 1963, après trois mois de cohabitation, Jean Lurçat, le grand maître de la tapisserie moderne, dit à Marcel Gotène : « Tu peux partir, vole de tes propres ailes, ta force est en toi ». Au fil des années, ces mots du maître de Saint-Céré, n’ont fait que se confirmer. Après une vingtaine d’années d’obstination et de tribulations dans la carrière d’artiste peintre, Gotène vient d’ajouter un nouveau titre à sa gloire ; il est devenu notre premier peintre tapissier.
Le récent séjour de Marcel Gotène en France (1969 – 1974) a été riche d’expérience. Il a réalisé plusieurs d’expositions. Le dernière a eu lieu en 1973, au Grand Palais des Champs Elysées et lui a rapporté le prix France – Afrique décerné par la Société Internationale des Beaux- Arts. Son coup de pinceau s’est affiné. Les couleurs tiennent mieux la toile ; le dessin est devenu plus incisif, plus hardi semble-t-il. La plupart des motifs d’avant 1969 demeurent ; ils ont toutefois subi plus d’exaltation. C’est la faune et la flore aquatiques (le crocodile bouffé par les poissons 1973, Plantes aquatiques 1973), la danse (les danseuses 1974). L’aspect aérien s’est accusé : « L’homme – oiseau » (1973, « Le coq » (1973), « Le Corbeau » (1973), « Le nid d’Oiseau » (1974).
Marcel Gotène a aussi connu l’expérience de la maladie. Soigné à l’Hôpital de la Pitié, il a dû ensuite passer quinze mois dans les maisons de repos d’Autreches dans l’Oise, à 150 Km de Paris.
Marcel Gotène a suivi pendant deux ans (1969-1971) les cours d’imprimeur-clicheur sérigraphe au Collège d’Enseignement Technique d’Art Graphique. Il a fréquenté pendant la même période, l’Académie Populaire d’Arts Plastiques (1969-1972) ; et surtout, il s’est initié à la tapisserie, à l’Ecole Nationale de Arts décoratifs d’Aubusson.
Les tapisseries d’Aubusson sont célèbres dans le monde, et leur histoire est très ancienne. Une légende attribue leur origine aux Sarrasins vers le VIIIe siècle. C’est avec l’accord de Marcel Colbert, Contrôleur Général des Finances, que la collectivité des artisans, se constitua en Manufacture royale. L’Ecole Nationale d’Arts décoratifs spécialisée dans la tapisserie fut créée en 1884.
Cette Ecole qui comporte actuellement une quinzaine d’élèves, y compris des stagiaires venus de divers horizons, n’exige point de diplômes d’entrée. Elle accueille même de petits enfants, qui vont y apprendre le dessin. Cest une tradition née depuis l’ordonnance de Monseigneur l’Intendant de la Généralité de Moulins, en date du 18 Janvier 1742, portant création de deux Ecoles de dessins dans la ville d’Obusson pour contribuer à la perfection des tapisseries de la Manufacture Royale.
A l’Ecole Nationale d’Art décoratif d’Obusson, il a appris la préparation des cartons et le tissage de la line. Deux élèves de ladite école ont réalisé une belle tapisserie selon un carton de Marcel Gotène : « Le Coq et le Poisson ». C’est une pièce (1 ;5 x 1m), d’une valeur de deux millions CFA. Il a lui-même tissé deux tapisseries, de dimensions plus réduites, l’une (80x 40 cm) intitulée « La Femme », l’autre (60x 40cm) « Le Masque »
Dans la cité de la tapisserie, Marcel Gotène n’est pas passé inaperçu. Quelques-unes de ses toiles exposées au « Café Moderne », ont vivement impressionné les Aubussonnais, et les journalistes ont spontanément cherché à faire sa connaissance. Des articles lui ont été consacrés dans les journaux locaux, « La Montagne », « Le Populaire », qui relèvent la bonhomie de l’artiste congolais autant que la qualité et l’originalité de son art. L’un d’eux, le considère comme le « Nicolas moderne », appréciation plus flatteuse que juste dans la mesure où Marcel Gotène est plus instinctif que le peintre de l’école romaine.
Marcel Gotène a donc acquis un nouveau métier, celui de tapissier. Il ne voudrait plus se livrer à la vie hasardeuse de marchand ambulant de toiles hâtivement exécutées sous la pression de la nécessité. Il espère avoir un atelier d’au moins six métiers, embryon de ce qui pourrait être une Ecole Congolaise de la tapisserie.
Jean-Baptiste Loutard
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